Intéressante question: les photos de Google Street View

Une information piochée dans la presse me pose un peu soucis.

Au moins plusieurs pistes de réflexion à partir de cet article:

  • le côté "Big Brother" de Google Street View n'est pas nouveau, il a déjà fait couler beaucoup d'encre électronique;
  • curieusement, un député qui se pose des questions pas complètement idiotes sur le fait que l'automatisation d'un procédé n'est pas une décision neutre;
  • l'habitude qui veut que les politiques aient peur d'Internet, et donc cherchent à interdire un peu tout et n'importe quoi.

Big Brother ?

Sur le premier point, c'est le plus simple: Google Street View met en ligne une quantité énorme de photos prises sur le domaine public, donc qui sont à l'heure actuelle considérées comme publiables. Dés les débuts, la question s'est posée (reconnaître un visage, reconnaître l'immatriculation d'une voiture, voir l'intérieur d'un domicile privé, etc). Et Google y a répondu à sa façon, en faisant un peu de nettoyage automatique sur ses photos.

Mais la question reste, même si la façon de la poser de notre député n'est pas forcément la bonne. On revient à la question posée par Laurent Chemla, dans Confessions d'un voleur. Il compare l'arrivée d'Internet à l'invention du télé-porteur. Effectivement, Internet supprime en bonne partie les distances, et met les données publiques en accès instantané.

Exemple jugé positivement par tout le monde: tous les citoyens ont accès, en permanence, facilement, de partout, aux textes de loi en vigueur mis à jour. Impossible avant Internet. Autre exemple, jugé positivement par beaucoup, et négativement par certains élus: tous les citoyens peuvent suivre en direct ce qui se raconte dans l'hémicycle de l'Assemblée Nationale, et répondre à leurs députés par mail, à peu près en direct. Et, de la même manière, des photographies géo-localisées avec précision (maintenant que les téléphones font aussi GPS et appareil photo) pullulent sur Internet. Google, qui en publie une quantité industrielle, fait l'effort de tenter de flouter les siennes. Mais voilà, en cherchant une adresse postale, on trouve facilement des photos du lieu, que Google industrialise ça, ça ne change pas grand chose, par rapport à tout ce qui se publie de photos partout sur le réseau.

Effectivement, le réseau ne dévoile rien. Ayant une adresse postale, j'ai l'absolue liberté de me rendre devant l'immeuble, pour voir de mes propres yeux. Simplement, je ne le fais pas, en général, parce que c'est loin, c'est long, c'est fatiguant, ça coûte de l'argent. Internet abolissant les distances, en la matière, je supprime la difficulté technique.

Décider que l'on n'a plus le droit d'automatiser ce procédé, c'est poser la question de savoir si c'est le traitement unitaire ou le traitement de masse, qui est interdit. Si ce n'est que le traitement de masse, alors il finira par exister des outils qui chercheront des photos, partout, sur critères de localisation géographique (ça existe déjà), couplés à des bases de données d'adresses (ça, pas encore). Ce sera interdit aussi? Mais quel bout? La publication d'une photo unique? Le fait d'associer une adresse à des coordonnées GPS, et donc l'interdiction des systèmes qui proposent des itinéraires, ou du GPS sur les téléphones, via Internet? Où est la limite?

Une approche enfin de la question des automatismes

Curieusement, monsieur le député se demande si la publication par Google, de façon systématique, de photographies par ailleurs parfaitement légales, et ne posant pas soucis individuellement (parce qu'il est évident que si je poste une photo sur flickr avec l'adresse du lieu, ça restera légal, si j'ai bien compris), doit être interdite.

Et il indique bien, si j'en crois la presse, que c'est l'automatisation qui pose problème. On pourrait faire le même reproche aux radars automatiques, genre, au hasard. Les radars ne font qu'automatiser une tâche de surveillance autrefois unitairement acceptée et dévolue aux forces de police. Maintenant, ce sont des automates qui effectuent un contrôle continu. Bien? Pas bien? Je ne suis pas sûr qu'il se soit posé la question en ces termes...

On peut élargir: tous les systèmes de détection automatique des infractions posent la même question. Ils constituent autant de systèmes de surveillance portant atteinte à la vie privée des citoyens. Ces systèmes ont été jugés acceptables quand on les mettait entre les mains éclairées de policiers humains, autorisés à faire preuve de discernement. Le sont-ils encore aux mains d'automates ?

D'ailleurs, la question de la surveillance pour détecter les infractions est aussi intéressante sous un autre angle. Si on me surveille, pour vérifier que je suis sage, c'est qu'on suppose que je ne le suis pas, a priori. N'est-ce pas une remise en cause, insidieuse mais réelle, de la présomption d'innocence ?

Finalement, c'est bien le fond de la question posée sur la vidéo surveillance: est-il légitime de mettre des vigiles automatiques à tous les coins de rues? Bin oui, des vigiles, les vidéos ne sont pas réservées à la Police sur réquisition de la Justice, mais le plus souvent à des sociétés privées, dans des conditions trop souvent floues.

La question de savoir si tout procédé accepté unitairement peut être automatisé sans autre forme de procès est intéressante. C'est simplement triste qu'elle ne ressorte pas quand c'est l'État qui porte atteinte aux libertés.

La peur d'Internet

Il y a, là, un clivage qu'on voit apparaître de plus en plus souvent. En caricaturant un peu, on arrive à ça...

D'un côté, les gens de l'ancien monde, qui n'aiment pas tellement la transparence des nouveaux usages. On y trouve les Séguéla, qui ont peur d'Internet parce que maintenant les petits moments délicats des personnes publiques peuvent finir en ligne, et circuler, vite, et de manière incontrôlable, sans passer par les filtres finalement assez amicaux de la presse. On y trouve les députés, effrayés à l'idée qu'un troupeau d'Internautes les regarde lire le journal dans l'hémicycle. Les anciens, pour les nommer comme ça, considèrent que c'est dramatique qu'on puisse se voir refuser un travail à cause d'une photo de cuite sur Facebook.

De l'autre côté, les gamins du nouveau monde, qui s'en fichent. Quand on leur décrit le dernier gadget à la mode sur le net, ils foncent regarder, et si les copains adoptent, alors ils adoptent. Ça étale leur vie privée en public? Bah, s'en fichent. Ça concentre le débat sur le buzz plutôt que sur le fond? Bah, pas grave, au moins c'est rigolo et pas prise de tête. Pas pris dans un boulot a cause d'une photo? Bah, ça évitera de travailler pour un débile.

Ce n'est pas un débat entre ceux qui ont compris et ceux qui n'ont pas compris. C'est un débat entre ceux qui sont nés sur Internet, et ceux qui l'ont appris, voire ceux qui ne l'ont toujours pas appris.

Tout comme Beaumarchais nous expliquait qu'il n'y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits (Le Mariage de Figaro), on pourrait dire qu'il n'y a que les petits hommes qui redoutent les petites vidéos. Les anciens de l'époque avaient une vraie peur de la liberté de la presse, alors qu'aujourd'hui le plus obtu des politiques, le plus archaïque des hommes publics, a compris qu'il peut en jouer, et a appris à en jouer. Les gamins d'aujourd'hui, je n'en doute pas, deviendront des politiques qui sauront parfaitement utiliser la transparence imposée par Internet. Probablement avec pas mal de démagogie dedans, mais qui osera prétendre que les politiques de l'époque de la presse ou de la télévision ne recourraient pas à la même démagogie...

Forcément, quand on garde à l'esprit cette grille de lecture, on se dit que ce pauvre député, si au moins il s'est mis à réfléchir un peu sur les impacts du numérique au lieu de les nier (attitude qui était encore très en vogue il y a seulement quelques années), n'est pas encore sorti de sa peur. Il a commencé à comprendre la marque que le numérique impose sur la société, mais ce n'est pour le moment que pour en être fasciné (je cite ses propos repris de l'article), et en avoir peur.

L'idée de vouloir interdire de publier des photos de bâtiments est idiote. C'est une mauvaise réponse. Même si la question (vie privée, etc) était intéressante. La réponse qu'a choisi Google, peut-être pas idéale, est cependant plus intéressante.

Commentaires

1. Le mercredi 02 décembre 2009, 22:27 par Benjamin Bayart

Voilà, il fallait bien qu'un soir je me décide à sortir un premier vrai billet sur ce blog, pour voir ce que ça peut donner.

Pour le coup, ce qui m'intéresse le plus, si quelqu'un vient à lire ça, ce sont les commentaires sur la forme: trop long, trop court, trop bavard, trop eliptique, illisible, pas clair, etc. Je ne dis pas que je ferai ce que me demandera la majorité, juste que je le lirai :)

2. Le jeudi 03 décembre 2009, 11:00 par gibus

Sympa, on retrouve le style BB.

Pour éviter d'aller lire Le Monde, j'aurais bien aimé un petit rappel en note de bas de page de ce qui a déclenché ce billet : qui est ce député et qu'est-ce qu'il a dit à propos de quoi.

3. Le jeudi 03 décembre 2009, 11:22 par Thom1

Salut Benjamin,

J'ai lu ton billet assez rapidement car je le trouve justement assez simple mais complet, pas trop long, enfin de la bonne taille. Forcément intéressant car je pense de la même manière... Non je ne dis pas ça pour flatté :)
En même temps c'est grâce à toi et à ta fameuse conf que je me suis réveillé et ai appris ce qu'est internet, conférence dont j'ai immédiatement été d'accord.

Un avis de quelqu'un qui "connaît" mois le sujet serait sûrement plus pertinent.

4. Le vendredi 04 décembre 2009, 16:00 par Jaz

Salut Benjamin,

"pour ta paroisse" le message est toujours clair :) mais pour les quidams ça semble un peu elliptique, enfin c'est mon avis, en même temps, je doute qu'ils passent par ici :)

Pour reprendre ton exemple de "photo de cuite sur Facebook" ou plus récemment la canadienne d'IBM qui s'est vu suspendre ses indemnités de congé maladie à cause d'une photo publié sur facebook alors que son profil est "fortement restreint" (je ne connais pas le degrè de sécurisation), l'assurance n'a pas indiqué comment elle avait eu accès aux photos publiées sur le profil, j'aurai bien ma p'tite idée mais il faudrait s'enregistrer sur ce genre de site http://www.spokeo.com/ pour voir les informations auxquelles on a accés ? (vous pouvez déjà avoir une idée ici http://www.spokeo.com/single/ )

Comme tu l'as déjà dit, c'est l'éducation et la connaissance d'internet qui permet de sauvegarder sa vie privée mais quand je vois toutes les personnes qui en on déjà trop dit, ça va être très difficile d'appliquer un droit à l'oubli à l'échelle mondiale et quand on sait qui il y a derriére certain site communautaire, on voit bien l'intérêt de telles bases de données :(

L'hégémonie de google ne me plait guére et avec leur chrome os on voit tout de suite où ils veulent en venir, ça me fait toujours halluciner les personnes ou sté qui scient la branche sur laquelle ils sont assis...

5. Le samedi 05 décembre 2009, 23:01 par dju

Salut Benjamin,

Ayant lu tes écrits sur edgar.fdn.fr, je suis assez content d'y retrouver la même qualité de reflexion :)... juste une petite remarque de "forme", à mon goût, le style manque un peu d'humour... mais, le style, c'est comme le goût ca ne se discute pas (trop) ;) !

J'ai apprécié le côté "structuré" de l'article, que l'on retrouve rarement ailleurs.

Côté longueur, c'est pareil : pour moi c'est parfait, mais il me semble que le-commun-des-mortels-pressé va le trouver un chouillat longuet.

enfin, espérons que les quidams passent par là...

6. Le mardi 08 décembre 2009, 21:41 par B. Garcia

Bonjour,

En ce qui concerne la forme, je trouve que la séparation entre les billets manque de visibilité par rapport aux titres de paragraphes. Du coup il est dur de voir d'un simple coup d'oeil ou s'arrête le second billet et ou commence le premier.
Dans le cas ou un billet est particulièrement long, comme celui-ci, il pourrait être intéressant de ne publier que les un ou deux premiers paragraphes et de mettre un lien pour en lire la suite.

Pour en revenir au sujet:
La loi Informatique & Libertés impose entre autre:
1/ l'obligation de déclarer le traitement automatisé de données personnelles
2/ de fournir aux personnes concernées un droit de regard et de correction sur ces données.
(si j'ai bien compris les textes, je ne suis pas juriste)

Si on part que notre visage est une donnée personnelle, Google Street View rentre dans le premier cadre.
Donc tant que Google n'est pas en mesure de donner un droit de regard à chacun sur sur les données personnelles conservées dans l'application (en notant les coordonnées de toutes les personnes prises en photo par exemple), ils ne peuvent donc logiquement pas traiter ses données de manière automatique (floutage et publication).

Quand à la résolution de ce problème, il me semble que l'on pourrait procéder de la même manière que pour le tournage d'un film:
Demande d'autorisation aux autorités locales qui vont placer des affiches pendant une période déterminé. Si vous êtes sur les photos c'est que vous l'avez bien voulu.

Cdlt,
Benoit


En réponse: la loi informatique et liberté parle, c'est important, de données nominatives, une photo prise au hasard dans la rue n'est pas concernée (quand Google fait son traitement automatique, le nom n'est pas connu), ou en tous cas la situation sur le sujet n'est pas claire. Sitôt que la personne est identifiée (par exemple, quand elle râle), Google fait le nécessaire pour anonymiser, pour ce que j'en sais. Je ne suis pas sur du tout que ce soit attaquable sous l'angle de la loi de 1978 (informatique et liberté). Il reste, par contre, le droit à l'image, mais c'est un autre registre.
7. Le lundi 14 décembre 2009, 15:16 par Mathieu L.

> Je ne dis pas que je ferai ce que me demandera la majorité,
> juste que je le lirai :)
oui, le principe de neutralité. :-)

Sinon, pour moi, c'est une peu long... ca mérite 3 billets

8. Le lundi 14 décembre 2009, 16:44 par 3×+Net

Les photos de Google Street View, ça me rappelle l'époque (!) où Les Pages Jaunes faisait exactement comme Google... mais au lieu d'une voiture (Google) c'était un photographe (Pages Jaunes). C'était une autre époque, il n'y avait pas d'ADSL en ce temps-là, c'était du RTC... vous z'avez pas connu ça, les jeunes ;-)

9. Le mercredi 16 décembre 2009, 13:54 par D'g

Qu'est ce que j'aimerais lire ça venant de nos députés.
"La réponse qu'a choisi Google, peut-être pas idéale, est cependant plus intéressante."
Elle a le mérite d'exister et de ne pas attendre l'avis de nos dirigeants, un peu à la ramasse de ce côté là. Finalement le net s'auto-régule et n'attend après personne.

L'article est long mais très bien développé.

10. Le jeudi 17 décembre 2009, 20:29 par Med935

J'aimerais savoir les images dans street view sont mises a jour souvent ? Parcqu'il y en a il date de 5 mois voir plus...

En réponse: c'est surtout chez Google qu'il faudrait poser la question. Mais, pour ce que j'en sais, la réponse serait à peu près jamais.

La discussion continue ailleurs

1. Le jeudi 03 décembre 2009, 10:40 par erode

erode's status on Thursday, 03-Dec-09 09:40:42 UTC

@bayartb Benjamin Bayart, le blog d' #FDN : « Intéressante question : les photos de #Google Street View » (http://ur1.ca/h1uo)...

2. Le lundi 14 décembre 2009, 14:46 par manhack

manhack's status on Monday, 14-Dec-09 13:46:30 UTC

Le pb, ce n'est pas Google Street View, mais ceux qui veulent interdire les photos de bâtiments http://j.mp/8d06a8 via @bayartb...