Licence globale et neutralité du réseau, l'exemple de ComCast

ComCast est le gros cablo-opérateur américain, et un habitué des atteintes à la neutralité du réseau. À un point tel que c'en est émouvant de voir un boîte américaine reprendre tellement à son compte le si français concept du Minitel.

La dernière en date, c'est l'ouverture d'un site (pas tellement web) de streaming. L'info est citée par ne New York Times (l'article en anglais), trouvée sur Twitter cité par... je ne sais plus qui.

Une forme de licence globale

L'offre dont ils parlent, si j'ai bien compris, c'est bien une offre forfaitaire d'accès à approximativement tout un catalogue, ou au moins tout un bouquet. Donc, sur le principe, on paye un forfait, probablement mensuel, et on visionne tout ce qu'on veut. Donc, bien une forme de licence globale, mais privée, plutôt que publique.

Ce qui veut dire qu'on ne peut accéder, via ce service, qu'à ce que ComCast décide de diffuser, donc, à une variété finalement réduite. Tout à fait à l'opposé d'une vraie licence globale, qui ne suppose pas d'accord commercial, mais un droit pour le public d'accéder aux oeuvres. C'est bien une des conséquences prédites de l'absence de licence globale: il se crée des forfaits privés, dont sont exclus les petits créateurs, dont sont exclus les gens qui ont fait de choix des modèles innovants, et qui favorisent les acteurs en place.

Une atteinte à la neutralité du réseau

Ce service fonctionne sur IP, mais avec des mécanismes qui y sont opposés. Il n'y a aucune raison valable pour que ComCast décide de réserver ce service à ses seuls abonnés. En terme de marketing, il serait même probablement plus intéressant pour eux d'ouvrir le service, par exemple pour que les européens qui veulent accéder aux contenus des télévisions américaines puissent y accéder par Internet.

D'ailleurs, cette fermeture de leur service n'est pas, en elle-même une atteinte à la neutralité du réseau: libre à chacun de décider à qui il veut vendre et dans quelles conditions (même si en France, ce serait assimilable à du refus de vente, ce n'est pas le même sujet que la neutralité du réseau). En revanche, ce qui est une atteinte à la neutralité du réseau, c'est le fait qu'il est fort probable que le trafic de ce site soit prioritaire sur le trafic des autres sites de streaming, disponibles, eux, en ligne, sur le Grand Internet, et pas dans le petit réseau local de monsieur ComCast.

On est là, en plein dans les conséquences des atteintes à la neutralité du réseau:

  • l'opérateur réseau abuse d'une position acquise (il me fourni mon accès Internet) pour en obtenir une autre (il m'impose de regarder ses vidéos, et m'empêche d'accéder aux services de ses concurrents);
  • la fin de l'innovation sans permis, en effet, dans ce modèle-là, rapidement, pour pouvoir ouvrir un site offrant (ou vendant, hein, c'est pareil) de nouveaux services vidéo, il faudra qu'il soit accepté par les opérateurs, qu'il soit dé-filtré;
  • une limitation de l'accès à la culture et aux savoirs, puisque l'opérateur est en droit de décider quels fragments d'Internet je vois, et quels fragments je ne vois pas;
  • une limitation de la liberté d'information, puisque seules les chaînes ayant passé un accord commercial avec ComCast peuvent être reçues de cette nouvelle méthode, les autres étant pénalisées par la priorisation du trafic sur le réseau.

Tant qu'il est question d'un service qui ne relève pas d'Internet, comme la VOD sur les machin-box en France, alors il n'y a pas d'atteinte à la neutralité du réseau, il y a deux réseaux en parallèle, l'un, privé, fermé, qui est celui des machin-box, interne à l'opérateur, et l'autre, ouvert, public, qui est Internet. Mais, si j'ai bien compris ce que fait ComCast, c'est bien une atteinte frontale à la neutralité du réseau. Avec tout pile les conséquences prévues, annoncées, et que la Commission Européenne refusait de voir comme des conséquences possibles du Paquet Télécom s'il ne protégeait pas mieux la neutralité du réseau.

Et en France?

Hé bien, c'est déjà dans les journaux. Ce que raconte la publicité d'Orange, c'est bien, précisément, dans le même esprit, avec les mêmes objectifs.

Vous reprendrez bien une louche de Minitel pour la route, non?

Commentaires

1. Le mercredi 16 décembre 2009, 22:32 par Audiofeeline

Finalement cette politique du "moi le premier" ne freine-t-il pas un peu la concurrence et à plus long terme la diversité de l'offre? En fin de compte tout ce que demande l'Internaute (qu'il soit en P2P ou sur le Minitel) c'est d'avoir au contenu qu'il souhaite et quand il le souhaite. Pour le moment les offres légales ne répondent pas à la demande.

En réponse: c'est bien le fond d'un des points de l'article, la politique de filtrage par les opérateurs nuit à la diversité et à la concurrence. Tout comme les choix d'un super-marché restreignent ceux des consommateurs, avec une vraie différence: on peut choisir son super-marché au jour le jour, alors qu'on est engagé sur du plus long terme avec son fournisseur d'accès à Internet.

Quand à savoir ce que veut l'internaute, je me garderai bien d'en juger à sa place. Dire que quelqu'un veut ce qu'il veut quand il le veut, c'est une lapalissade... Internet permet d'accéder aux choses sans avoir à attendre qu'elles se présentent (voir un film sans avoir à attendre que TF1 daigne le passer, par exemple), ça, oui, c'est une particularité.

2. Le jeudi 17 décembre 2009, 00:53 par Willox

J'avoue ne pas avoir peut-être tout saisi de l'article original et des commentaires ci-dessus mais cela voudrait il dire que ComCast crée un réseau privé et fermé pour ses propres abonnés?

.. internet inclus ? c'est à dire Inter-Comnet ?
Je suis peut être indûment optimiste ( ou naïf ) mais je pense que en ce qui nous concerne, leur bataille ne se situe que sur le bouquet télé et je ne vois pas le danger sur le réseau internet

En réponse: de ce que j'ai compris, c'est une offre de vidéos en streaming, accessibles sur le site web de ComCast, donc, dans la partie `Internet', mais qui n'est atteignable qu'en étant abonné aux offres télé de ComCast. Basiquement, pour moi, la phrase clef, c'est celle-là: `Comcast customers will log in to the Xfinity service via Comcast.net or Fancast.com and will have to install a program before using the service for the first time. The sites rely on an authentication system to block nonsubscribers.'. Si je comprends bien, ça se passe sur l'ordinateur, donc dans la partie Internet, mais c'est dans un format fermé, réservé aux seuls clients de ComCast. Les conséquences logiques, pour quiconque doit gérer le réseau d'un opérateur, et surtout d'un opérateur câble, c'est que l'offre (payante) subira les engorgements de la partie Internet. Donc que le marketing va exiger que le flux soit priorisé. Donc que ComCast favorise son service, pourtant sur Internet, par rapport à celui de ses concurrents. Et donc utilise sa position de fournisseur d'accès pour asseoir sa position de marchand de contenu vidéo.

3. Le jeudi 17 décembre 2009, 18:52 par Jaz

Merci Benjamin pour ces billets ;) (d'autres rédacteurs en vue ? sujets limités ou illimités sur blog.fdn.fr ?)

Pour revenir sur le sujet, avec le pouvoir d'achat que sont en train d'obtenir les américains, ça sent le flop ?

J'aimerai bien connaitre sur quel budget moyen ils se basent pour calculer leur rentabilité et l'intérêt de la chose, parce que de ma fenêtre, je ne connais personne qui paye pour regarder une chaine ou un film sur Internet ?

En réponse: Oui, d'autres rédacteurs en vue, probablement d'autres membres du bureau de FDN, ou simplement des membres de l'association qui ont eu l'occasion de creuser un dossier et qui veulent en parler sur le blog. Sujets limités: il faut que ça parle d'Internet, et que ce soit dans le cadre de l'association, donc à peu près tout dans les activités de l'association, ou sur les sujets qui touchent à l'éthique sur le réseau, sur la neutralité du Net, etc.

Pour ce qui est du calcul de rentabilité de ComCast, je pense que c'est assez simple: ça ne coûte à peu près rien à produire, et il y aura des gens pour acheter (des gens qui n'ont pas le courage d'apprendre à utiliser BitTorrent, mais qui veulent quand même voir le dernier épisode de leur série préférée, c'est pas ce qui manque). Par contre, à long terme, ce n'est pas un bon modèle: ça freine la diversité et l'innovation, donc les services innovants vont se déplacer, donc la valeur va se déplacer.

4. Le dimanche 03 janvier 2010, 19:39 par lulu

« Les conséquences logiques, (..) c'est (..) que ComCast favorise son service, pourtant sur Internet, par rapport à celui de ses concurrents »

Sur Internet, il faut le dire vite, car on est sur le portail de ComCast et il s'agit d'un service réservé aux abonnés, payant. Donc dans le cadre d'un service délimité et spécifique souscrit délibérément par le client, qui utilisera une application spécifique pour accéder à ce service.

Cette application, elle se trouve en périphérie du réseau. Et elle va, potentiellement, utiliser en effet une partie plus importante de la BP disponible sur l'accès de l'utilisateur, pour garantir un certain niveau de qualité. Si elle le fait en concordance avec les équipements du réseau du FAI, et que cette possibilité n'est pas mise à la portée de fournisseurs de services concurrents, *alors* oui, il y a un problème.

Mais ce problème rédide dans le seul fait que les concurrents de ComCast ne soient pas en mesure de proposer au client un service similaire car celui-ci ne bénéficierait pas de cette prioritisation du traffic sur le réseau du FAI.

Il faut sévèrement relativiser.

Premier point, le client s'abonne et paie volontairement pour ce service supplémentaire, il y a donc une démarche volontaire de sa part, à condition que ComCast l'informe suffisamment.

Second point, s'il paie pour un service de haute définition qui requiert une BP importante, l'utilisateur sera content que cette BP soit réservée sur son accès, quand il regarde son film, et que le vidage de son feed UUCP (exemple innocent) ne vienne pas bousiller la scène d'action dans laquelle il est plongé corps et âme.

Troisième point, l'utilisateur est maitre (techniquement) de la priorité des flux sur son accès, dès lors qu'il apprend à limiter la BP utilisée par ses application, ce qui laisse la porte ouverte à tout fournisseur de bouquet pour lui proposer une offre similaire. Dit autrement, l'intelligence est encore en périphérie du réseau et "déconnectable" par l'utilisateur.

Le hic, c'est cette garantie, cette priorité que l'autre fournisseur de bouquet n'aura pas sur le réseau du fournisseur d'accès. Si le client veut ce service, il ne peut l'acheter qu'à ComCast. En France, on serait donc quelque part entre la vente liée (droit de la consommation) et la concurrence faussée.

Mais on n'a pas pour autant une limitation de l'accès au net, durable, non maitrisable ni à l'insu de l'abonné.

En examinant la situation en France, on cherchera longtemps quel FAI garantit aujourd'hui que la pleine capacité de l'accès vendu sera utilisable vers le réseau d'un tiers opérateur dans des conditions ne serait-ce qu'acceptables. Et on observera que les box triple-play fournies par les FAI en France ne permettent d'accéder qu'au bouquet télé du FAI, et pas à ceux des concurrents, ce sur quoi l'utilisateur n'a aucune maitrise. La situation en France est donc, déjà, bien pire.

Finalement la question qui se pose ne serait-elle pas celle de la séparation des activités de fournisseur d'accès, de contenus et de réseaux ?

En réponse:

1. Il y a un problème de fond: ce n'est pas l'utilisateur qui fixe cette priorité sur le trafic, mais bien le FAI, et pas qu'au niveau du modem de l'abonné, mais dans son back-bone. On est donc bien dans une violation de la neutralité du réseau.

2. Il y a une différence fondamentale avec le cas des box triple-play en France, le contenu des box triple-play ne circule par sur un réseau public, tout ça (téléphone, télévision) circule sur un réseau privé. Et c'est une vraie différence importante. Il y a 3 réseaux qui arrivent chez l'abonné, un pour le téléphone, un pour la télévision, et un pour Internet. Et c'est un priorisation entre "tout Internet" et le reste qui a lieu. Par exemple, il n'y a pas de priorisation entre gmail et le mail du FAI, du moins pas dans les cas que j'ai été amené à connaitre. Cette priorisation est bien gérée entre le modem et le DSLAM, donc en périphérie du réseau. Elle est également gérée dans le backbone, pour que les flux IPTV soient prioritaires sur le trafic Internet, mais ce n'est pas une priorisation entre une plage d'IP et une autre, mais entre un réseau privé et Internet.

3. La limitation posée par ComCast n'est pas sous contrôle de l'utilisateur, et n'est pas réalisée par son modem, mais plus probablement dans le backbone, et réalisée par les CMTS (l'équivalent du DSLAM dans le monde du câble). Aucun autre fournisseur n'est donc en mesure de proposer la même chose, sauf accord spécifique de ComCast. On a donc bien une atteinte très forte à la "possibilité d'innover sans permission" que représente Internet, et ComCast qui décide en lieu et place de ses abonnés ce qu'il leur est loisible d'avoir comme bouquet de contenu dans des conditions similaires.

4. Il y a bien un lien direct, on est d'accord, entre neutralité du réseau et entrave à la concurrence. C'est un des points clefs du Paquet Télécom. Nous (FDN, La Quadrature, EFF, etc) soutenons que les atteintes à la neutralité ont comme principal objectif de porter atteinte à la concurrence, et que donc, en droit européen, pour défendre la concurrence libre et non-faussée, il est impératif de défendre la Neutralité du Net. Ce n'est pas ce qu'a retenu le législateur européen qui considère qu'en informant l'abonné, on obtient le même résultat. Le précédent Microsoft montre bien que ce n'est pas le cas.

La discussion continue ailleurs

1. Le mercredi 16 décembre 2009, 22:31 par ohna

ohna's status on Wednesday, 16-Dec-09 21:31:21 UTC

RT @bayartb: Une lecture rapide des nouvelles bêtises de ComCast aux USA: http://x.fdn.fr/blog1 (sur le blog de FDN)...