Rencontre avec l'ARCEP sur la neutralité du réseau

J'étais invité, mercredi 6 janvier, a rencontrer un groupe de travail de l'ARCEP[1] sur la neutralité du réseau.

Le sujet devenant d'actualité, l'ARCEP s'intéresse à la question de la neutralité du réseau. D'abord pour essayer de mieux définir de quoi on parle, ensuite pour voir s'il y a lieu pour le régulateur d'intervenir, sur quel sujet, de quelle façon, etc. N'ayant pas pris de notes pendant mon audition (forcément, quand on parle, on ne peut pas vraiment écrire...), le résumé que je présente ici est incomplet, et reflète ce que j'ai retenu de cette audition.

Attention, l'article est long, encore.

Notes

[1] L'Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes (ARCEP) est l'autorité qui, entre autres, s'assure que les opérateurs respectent le Code des Postes et Communications Électroniques.

Définition d'Internet

Le premier point que j'ai indiqué est que je parlais de la neutralité d'Internet, pas de neutralité des réseaux en général. Et que donc, pour qu'on puisse s'entendre il convenait d'être d'accord sur ce qu'on entendait par Internet. La définition que j'ai décidé de prendre dans cette audition est le réseau public, routé par le protocole IP, constitué des 50.000 systèmes autonomes reconnus par l'IANA.

Cette définition a comme conséquence, par exemple, qu'on ne peut même pas discuter de la neutralité des accès fourni par les opérateurs mobiles (sauf un, peu connu, l'exercice étant laissé au lecteur de trouver lequel c'est), puisqu'ils ne fournissent pas d'adresse IP publique (ne parlons même pas du fait qu'elle puisse être fixe, on n'en est pas là). Et que donc, dans le cas des accès data-GSM, en plus des questions de neutralité qui peuvent se poser (c'est tout de même un réseau, même si ce n'est pas Internet), il convient de considérer qu'il y a mensonge sur la dénomination. Ce n'est pas un accès Internet.

Partant de cette définition, on peut donc facilement traiter certaines questions:

  • si le réseau ne fournit pas une adresse publiquement routable, ce n'est pas un accès à Internet, et s'il prétend être un accès Internet, il est à l'opposé même de la notion de neutralité, ce qui de mon point de vue devrait entraîner des sanctions fermes de l'Autorité;
  • à partir du moment où cette première condition est remplie, on peut s'intéresser à des choses plus fines sur la neutralité (filtrage ou non, sous contrôle de l'utilisateur ou non, traitement des congestions, etc).

Enjeu clef

Toujours dans les éléments que j'ai mis en avant dés le début de mon audition, il y a le fait que derrière la neutralité d'Internet, il y a deux enjeux clefs:

  • la concurrence;
  • la liberté d'expression.

Il est important de bien garder toujours les deux en tête. Ainsi, si on reste sur l'exemple du GSM (qui est le plus caricatural), il y a entrave à la concurrence quand Orange m'empêche d'utiliser Skype, et il y a entrave à la liberté d'expression quand le même Orange m'empêche d'héberger un serveur web (et donc de m'exprimer) derrière une connexion mobile, puisque je n'ai pas d'adresse publiquement routable.

L'angle entrave à la concurrence est, par exemple, le plus simple à défendre auprès des institutions européennes, il fait d'ailleurs appel à des notions bien connues dans ce domaine-là, comme l'effet de levier[1], le ciseau tarifaire, les tarifs d'éviction, les ententes illicites[2].

Mais il n'est pas suffisant. Ainsi, l'interprétation de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 faite par le Conseil Constitutionnel dans sa décision contre HADOPI est édifiante: un accès à Internet non restreint est nécessaire (c'est le mot choisi par le Conseil) à l'exercice pratique de cette liberté. Le Conseil s'appuie là-dessus pour sanctionner la loi HADOPI première mouture et imposer un juge pour couper un accès (il faut un juge pour porter atteinte à une liberté fondamentale), mais on peut aussi en conclure que le même comportement, généralisé par des positions oligopolistiques[3], est également contraire à la constitution, et donc à la loi.

Un autre exemple qui permet de bien lire cette double articulation est le filtrage de certains ports par les opérateurs. Par exemple le port 25[4]. Le plus souvent, quand l'ordinateur d'un particulier envoie quelque chose sur le port 25, qui n'est pas à destination du serveur mail de son opérateur, c'est qu'il est sous Windows, que sa machine est pourrie de virus et autres saletés, et qu'il bombarde, à son insu, Internet de spams. C'est vrai dans à peu près 95% des cas. Plusieurs opérateurs ont donc décidé de filtrer le port 25. J'ai pris deux exemples (classiques sur le sujet): Orange et Free.

Orange à fait ça directement sur le réseau, et donc ce filtrage s'applique directement à tous les abonnés, de manière impérative. Ce choix de technique fait que quelqu'un (une TPE/PME, par exemple) ayant un accès Orange ne peut pas avoir son propre serveur de messagerie. Il y a un lien avec la liberté d'expression: ma correspondance doit passer par les fourches caudines d'un tiers (mon mail, qui va de mon adresse laposte.net[5] vers mes copains de april.org, n'a aucune raison technique valable de transiter sur les serveurs d'Orange).

Mais il y a aussi un lien, plus fort qu'on ne croit, avec la concurrence. En effet, nombre de petites entreprises d'informatique fournissent à leurs clients des solutions clefs en main de gestion bureautique intégrée (boites aux lettres électroniques, gestion du parc informatique, outils de travail collaboratif, site web, etc), et s'appuient sur l'accès Internet pré-existant du client. Toutes ces entreprises ont du fournir un travail supplémentaire le jour où les serveurs de messagerie sont tombés en panne à cause d'Orange. Ce type de comportement a pour effet de porter atteinte sérieusement à l'efficacité, et donc à la rentabilité, d'entreprises. Entreprises qui se trouvent être en concurrence avec Orange Businees Service, qui fourni ce type de prestation, mais en ligne (et non en stockant la messagerie chez vous), peut aussi être lu sous l'angle entrave à la concurrence. Il est probable que ce n'est pas pour ça qu'Orange à mis en place ce filtrage, mais la question ne saurait être éludée. Orange est un géant si énorme, qu'une décisions anodine peut avoir pour conséquence de tuer des nains comme ces PME, même sans le faire exprès.

Le même filtrage, mis en place par Free, pose moins de soucis: le filtrage n'est pas réalisé par le coeur de réseau, mais par le modem-routeur (la Freebox) de l'abonné. Du coup, il est possible, pour chaque abonné, de décider de sortir de ce filtrage. Donc, un abonné qui souhaite installer un serveur de messagerie peut, en quelques instants, ne plus être filtré.

Quelle conclusion? Une atteinte à la neutralité d'Internet peut être, par exemple, caractérisée par un filtrage en coeur de réseau (modèle Orange) au lieu d'être en périphérie et sous le contrôle de l'abonné (modèle Free). Et même une atteinte qui peut sembler très minime, a eu des conséquences en termes de concurrence.

L'implication du régulateur

On m'a demandé, assez rapidement, si je trouvais légitime que le régulateur se saisisse de cette question de la neutralité.

Pour moi, c'est justement parce qu'il y a ces deux enjeux, la concurrence et la liberté d'expression, que le régulateur est pleinement légitime. C'est en effet à l'aune de ces deux éléments qu'il faut étudier chaque cas précis. Or, à ma connaissance, il n'y a pas d'autorité autre pouvant traiter les deux sujets à la fois. Il y a bien la DGCCRF (ou ce qu'il en reste), les autorités de la concurrence en général, mais elles ne traitent que de la moitié du problème. De même, il y a bien le juge judiciaire, mais il ne traite également que de la moitié du problème.

Un autre aspect était de savoir sur quels points l'Autorité devait intervenir. Un exemple a été cité (en Pologne, je crois) où le régulateur est intervenu sur la politique de peering[6] de l'opérateur historique, l'ARCEP me demandant si c'était son rôle.

La réponse est un peu plus complexe. Quand tout va bien, a priori, l'ARCEP n'a pas à intervenir sur ce type de dossier. Mais, si la politique de peering d'un opérateur est utilisée, non plus comme un outil technique de gestion interne raisonnable, mais comme une arme commerciale, visant à asseoir une position dominante par exemple, alors, oui, l'Autorité me semble légitime à intervenir, globalement, comme elle est légitime à arbitrer tout conflit entre deux opérateurs. D'ailleurs, en France, l'opérateur historique utilise depuis des années ce type de méthode pour évincer les petits opérateurs Internet, et ça tend à se répandre chez les autres gros opérateurs. Il serait peut-être bienvenu que l'Autorité y regarde de plus près...

La fibre optique

C'est un des sujets à la mode en ce moment, surtout qu'on parle d'y injecter des milliards d'euros d'argent que l'État n'a pas. J'ai rappelé la position de FDN, à savoir que l'infrastructure de desserte locale en fibre optique est, pour nous, une infrastructure essentielle, et par nature unique, donc monopolistique (au moins sous forme d'un monopole local) et que donc, en application de la Constitution, elle devrait appartenir à la puissance publique.

On a aussi parlé de dégroupage de la fibre optique, mais l'ARCEP est déjà très au point sur le sujet, et ses positions semblent claires, et en accord avec celles de FDN. À une nuance près, on aimerait être sur que l'ARCEP prendra en compte, dans ses analyses économiques, non seulement l'équilibre du jeu entre les mastodontes, mais aussi l'équilibre entre les géants (Orange, SFR, Free, Numéricable) et les nains (y'en trop pour les citer, mais en taille ça va de FDN ou Toile-Libre à Nerim, en gros). Un des meilleurs moyens d'assurer cet équilibre du jeu, et qui rejoint pleinement le point précédent, est que cette infrastructure existe sous forme d'un Réseau d'Initiative Publique[7].

Digression sur les RIP et les DSP

C'était pour FDN un sujet assez chaud il y a quelques années, et on a (pour simplifier) jeté l'éponge. Plus exactement, moi, j'ai jeté l'éponge, mais d'autres dans l'association reprennent le flambeau. On a essayé d'être présents sur des RIPs, le plus souvent en DSP[8]. Puisque j'étais sur le sujet, j'en ai profité pour savoir s'il aurait été légitime pour FDN de saisir l'ARCEP quand on était exclus, la réponse était assez mitigée. En gros, on peut, mais on a intérêt à venir avec des arguments solides.

La fibre, en zone rurale

Un des points que j'ai évoqué, en lien avec des projets autour de FDN, est le développement de la fibre en dehors de zones de forte densité de population.

En effet, si c'est bien le rôle de l'Autorité d'arbitrer le match entre les quatre géants pour les zones denses (Paris, grandes villes, etc), c'est aussi à l'Autorité de permettre ce même développement là où les géants ne voudront pas aller, par exemple en publiant des bonnes pratiques, en accompagnant, ou en prenant des décisions qui soient applicables à l'ensemble des cas.

J'ai ainsi pu indiquer qu'il me semble stérile d'injecter des milliards d'euros dans Orange ou SFR pour fibrer Paris. Comme c'est déjà identifié comme rentable, ils s'en débrouilleront très bien (ce dont tout le monde a aisément convenu). De même, il me semble inefficace de passer par les même opérateurs pour fibrer, avec subvention, les zones non-denses. En effet, pour un investissement public similaire, quitte à investir, il y a plus à gagner, en termes d'ouverture du marché, et d'aménagement numérique du territoire, à jouer des cartes locales. Par exemple en mettant en oeuvre des techniques de déploiement du réseau mieux adaptées au terrain, en articulant ça avec des RIPs qui soient de vraies possibilités de développement local (et pas des subventions déguisées comme c'est bien souvent le cas),

Rentabiliser la boucle locale

C'est là un argument très fort, parce qu'on sait dans le milieu que c'est, entre autre, celui de France Télécom et des gros opérateurs en général: si je rend le réseau, surtout fibré, non-neutre, je peux m'en servir pour dégager des revenus supplémentaires (droit de passage pour les fournisseurs de service comme YouTube, abonnement plus cher si on veut accéder à tel site, remise sur l'abonnement si par contre on passe par le site du fournisseur, par exemple les vidéos à la demande en ligne d'Orange, ou de Vivendi-SFR, contre celles de Virgin), et donc j'ai un intérêt à investir dans la fibre. Alors que si je suis obligé de rester neutre, et comme les clients ne voudront pas lâcher plus de 30 euros par mois, je n'ai aucun intérêt à investir.

Cet argument se démonte en plusieurs points:

  • preuve qu'il n'y a pas de concurrence;
  • rentabilité de l'investissement;
  • nécessité d'un investissement public;
  • affichage de la volonté d'utiliser un effet de levier.

En effet, c'est une preuve qu'il n'y a pas de concurrence. Normalement, un des acteurs devrait choisir d'investir dans la fibre, pour pouvoir afficher une offre vraiment plus attractive (genre, enfin, 30 mégas symétriques). Cette offre plus attractive doit lui attirer plus de clients, donc en faire perdre aux autres. Qui vont donc se ressaisir et immédiatement investir eux aussi dans la fibre pour essayer de conserver leurs clients. Si les gros opérateurs indiquent qu'ils n'ont pas d'intérêt à investir, alors qu'il y a là un produit véritablement plus attractif pour les clients, c'est qu'ils reconnaissent qu'il y a une entente illicite, un pacte de non-agression.

Ensuite, on notera que la rentabilité de l'investissement n'est pas remise en cause. En effet, les opérateurs ne disent pas à 30 euros par mois, je n'amortirai jamais mon investissement. Un moyen simple de lire ça, c'est de dire que dans un accès ADSL, il y a un tiers de l'abonnement (soit 10 euros TTC par mois, tout de même) pour louer la ligne de cuivre à France Télécom. En supposant que ça coûte 1000 euros de raccorder un abonné en fibre, en 8 ans c'est remboursé. Et une installation fibre est stable pour au moins 20 ans. Donc l'investissement sera couvert. Plus que couvert. Pour 100 euros investi, à terme, il y a 240 euros à récupérer en 20 ans. Et ça alors qu'on sait bien que les coûts de déploiement de la fibre vont aller en s'effondrant, le déploiement devenant plus massif (plus on en fait, moins ça coûte cher à l'unité).

La question n'est donc pas de savoir si c'est rentable (4,47% annuel, sur 20 ans, si on reprend l'hypothèse de 240 euros pour 100 investi et que je ne me trompe pas dans mes calculs). La question est qu'ils voudraient que ce soit hyper rentable. Dit crûment: s'il n'y a pas moyen de se gaver un max, à faire passer un boursier pour un gagne petit, ils ne veulent pas y aller. Si un taux d'intérêt de 4,47% n'intéresse pas le privé, c'est signe qu'il faut que le public s'en mêle. Puisque les opérateurs reconnaissent (en ne le niant pas) que l'investissement serait rentabilisé, mais ne veulent pas y aller, et que tout le monde admet que c'est un véritable enjeu pour le pays, alors on peut investir sur fonds publics, pour un réseau public, puisqu'il sera à moyen terme rentable.

Enfin, cet argumentaire indique clairement que les gros opérateurs souhaitent utiliser un monopole local (en dehors de quelques rares grands centres urbains, il n'y aura qu'un seul réseau de fibre accessible, donc un monopole local) pour faire levier et attaquer d'autres marchés. Soit en les parasitant et en prélevant un droit de passage (quand on ne sait pas créer de service innovants, on a forcément envie de prendre l'argent de ceux qui y arrivent), soit carrément en installant artificiellement leurs propres services.

Dit autrement: moi aussi, en arrêtant de respecter la loi, je pourrais gagner beaucoup plus, en me lançant dans la vente de fines herbes, par exemple. Mais je n'ai jamais osé avancer cet argument là dans un débat avec les pouvoirs publics.

Conclusion

La rencontre a duré un peu plus de deux heures, et m'a semblé constructive. Il reste à voir quelles seront les conclusions de l'Autorité sur le sujet. Il me semble évident qu'elles n'épouseront pas 100% des idées défendues par FDN. Mais je garde bon espoir que ces conclusions soient censées, et collent au moins avec les points clefs défendus par FDN.

Notes

[1] C'est le fait d'utiliser une position acquise sur un marché, soit dominante, soit de monopole, pour en acquérir une autre sur un autre marché connexe, par exemple quand à partir d'une position dominante dans le domaine des systèmes d'exploitation on s'en sert pour obtenir une position dominante dans le domaine des navigateurs Web, ou quand un opérateur a une position de monopole local (le cas de votre opérateur de téléphonie mobile, qui vous a verrouillé par un engagement) et l'utilise pour imposer un deuxième monopole (en vous interdisant la téléphonie par Internet).

[2] Par exemple quand il y a peu d'opérateurs sur un marché, et que, curieusement, alors qu'aucun impératif technique ne l'impose, ils adoptent tous la même pratique tendant à exclure les nouveaux entrants, ou à créer un effet de levier sur un marché secondaire.

[3] On parle d'oligopole, par opposition à un monopole, quand il y a plusieurs acteurs, mais suffisamment gros et peu nombreux pour empêcher l'exercice d'une concurrence libre et non-faussée, et donc créer une situation d'entente de fait entre ces acteurs,

[4] Le port 25 est le port utilisé, sur Internet, pour que deux systèmes de messagerie électronique discutent entre eux.

[5] Non, c'est pas vrai, mon adresse n'est pas chez La Poste, mais moi je ne suis pas abonné chez un fournisseur d'accès qui filtre le port 25...

[6] Il s'agit des règles, choisies en principe librement par chaque opérateur Internet (au sens IANA, les gens qui font vivre un bout d'Internet, pas seulement les fournisseurs d'accès), selon lesquelles il va décider de s'inter-connecter avec ses homologues. Certaines politiques de peering sont ouverte (j'accepte de me connecter avec quiconque est présent au même endroit et en fait la demande), ou plus fermées (je veux me faire payer, je ne parle qu'aux multi-nationales, je ne parle qu'à mes copains, etc).

[7] Réseau déployé, par exemple, par une collectivité territoriale, et mis à disposition de tous les opérateurs qui en font la demande, dans des conditions identiques pour tous, à un tarif public et connu de tous.

[8] Délégation de Service Public, le réseau est alors bien déployé par la commune, mais elle a sous-traité la totalité à une entreprise qui se charge de tout, construction, exploitation, gestion commerciale, etc. Bien entendu, les contraintes pour l'entreprise sont les mêmes, accepter tous les opérateurs qui le demandent, à des conditions contractuelles et tarifaires imposées et connues d'avance.

Commentaires

1. Le jeudi 21 janvier 2010, 01:12 par Hugo

Eh bien! tu as pu faire rapidement tout le tour de la question ! Merci pour le compte-rendu. En revanche, que sont les RIP et DSP et qu'entends-tu par "monopole local" des opérateurs ?

En réponse: pourtant, j'ai essayé de sous-titrer dans les notes de base de page... Donc, je reprend:


RIP: Réseau d'initiative publique, réseau mis en place par une collectivité territoriale, par exemple les fibres qui relient les centraux téléphoniques d'une région, permettant aux opérateurs nationnaux de venir dégrouper à moindre frais. Par exemple le réseau de fibre optique de Pau, qui dessert tous les habitants. Un RIP est, forcément, mis à disposition de tous les opérateurs qui veulent s'en servir, et la collectivité s'interdit d'opérer directement. On a ainsi un découpage en deux niveaux, la collectivité, qui gère l'infra physique, des FAIs qui lui louent cette infra pour vendre des accès aux clients.

DSP: Délégation de service public. Quand une collectivité territoriale décide de faire quelque chose, mais ne sait pas le gérer en interne, elle peut soit embaucher des gens, les former, et monter un service spécial dans les fonctionnaires municipaux, soit faire appel à un sous traitant, qui a délégation pour rendre ce service public. Par exemple le ramassage des poubelles, il peut être fait par la municipalité, directement, ou par un délégataire. Par exemple la gestion du réseau de distribution d'eau.

Pour le monopole local, soit tu prends ça au sens géographique et littéral: si je vais fibrer la jolie commune de Lavastrie (Cantal), je vais avoir un monopole. Pas un monopole mondial, pas un monopole national, mais un monopole local à la commune. Donc, s'il y a un seul opérateur qui vient poser de la fibre dans chaque immeuble, tu peux avoir un monopole local à l'immeuble: le seul moyen de change d'opérateur est de déménager. Mais tu peux aussi lire ça comme en maths les fonctions "localement dérivable". C'est le cas du marché des SMS sur le mobile: tu ne peux envoyer de SMS qu'en passant par l'opérateur qui te vend la carte SIM (alors qu'on pourrait imaginer qu'il en soit autrement, comme la pré-selection dans le fixe, par exemple). Du coup tu as la création d'un monopole local non-géographique, chaque opérateur rendant ses clients captifs, et se créant son petit monopole local personnel.

2. Le jeudi 21 janvier 2010, 01:33 par antistress

bravo encore une fois pour ta démarche

RAV : le texte des billets est collé au bord droit de l'écran, personnellement je trouve qu'une petite marge serait moins perturbante

3. Le jeudi 21 janvier 2010, 09:01 par mitch

@antistress
Chez moi il y a bien une marge à droite, sous firefox 3.0, 3.5.

@Benjamin : Sinon j'ai appris que sur les accès mobiles on avait même pas d'IP publique ... Assez hallucinant. Est-ce que tes interlocuteurs de l'ARCEP sont plutôt comme tu les appelle "des gens du monde de l'IP" geeks barbus qui comprennent l'énormité de la chose et donc ont des chances d'agir ou au pire laisser faire en regardant leurs chaussettes, ou est-ce que c'est du "cravateux_powerpoint" qui de toutes les façons s'en cognent ?

En réponse: ni l'un ni l'autre. Ils ont un solide stock de cravateux faiseurs de powerpoint, mais plus généralement ils comprennent les enjeux, mais ne sont pas des techniciens. Ils ont besoin des techniciens, soit pour les aider à déchiffrer ce que leur raconte les gros opérateurs (souvent en off, mais au final ils finissent bien par savoir de quoi il retourne). Mais ils ont aussi besoin d'avoir entendu les choses de manière officielle. Il ne suffit pas d'entendre la rumeur publique qui dit "tel opérateur fait telle connerie". Si quelqu'un le leur dit lors d'une audition, ou mieux encore, si un opérateur s'en plaint en procédure de contentieux, alors ils sont officiellement au courant, et peuvent agir.

4. Le jeudi 21 janvier 2010, 09:59 par Nico

Très intéressant comme article. J'ai moi aussi découvert qu'il n'y avait pas d'IP pour les réseaux mobiles.
C'est du grand n'importe quoi.
J'espère que ton intervention aidera à la neutralité. Parfois j'ai des doutes sur leur réel efficacité.
Honnêtement on a parfois l'impression que tu viens leur apprendre leur métier et les fonctions qu'ils sont censé occuper.

En réponse: il ne faut pas tout noircir. Ils ont décidé tout seul de creuser le sujet. Et ce sont eux qui m'ont invité à m'exprimer. Qu'ils ne soient pas en avance sur le sujet, c'est presque une évidence (les américains en sont à de la prise de décision là où les français commencent à réfléchir, par exemple). Mais ils avancent dans le bon sens, et ces dernières années, on a vu pas mal de décisions très positives sortir de l'ARCEP.

5. Le jeudi 21 janvier 2010, 15:21 par Francois2

Dis Benj,
j'ai droit de répondre au jeu du 2e paragraphe de "définition d'Internet" ?
;-)

En réponse: toi, nan :)

6. Le jeudi 21 janvier 2010, 15:24 par Julien

Pas d'ip pour les opérateurs mobiles ?
J'ai besoin d'éclaircissements ... j'ai pourtant bien une IP routable lorsque j'accède a des sites web .. alors OK c'est celle du proxy, ou d'une passerelle quelconque, partagée par tout ou partie des abonnés du dit opérateur .. mais selon moi ca en fait bel et bien un "accès à internet" (après on peut discuter du filtrage).. Sinon que dire d'un cybercafé avec une IP pour 30 machines ? D'une société avec une poignée d'ip pour des centaines de machines ? Une box en "NAT" chez soi avec deux machines ? Ce n'est pas non plus de l'accès à Internet si chaque machine/equipement n'a pas son IP routable propre ? Ca me paraît un peu exagéré :)

Je serais surtout très mécontent si mon opérateur mobile attribuait une IP routable a mon téléphone au lieu de me NATer...

Je suis preneur donc d'un eclaircissement sur ce point .. proxy/gateway != internet ? je savais pas ...

a+

En réponse: parce que tu ne fais pas attention, mais c'est pas bien grave :)

Ta box, elle a une IP publique, donc on t'a bien vendu un accès Internet, ton PC, lui, s'il a une IP privée derrière la Box, il n'est pas sur Internet, c'est la box qui l'est. L'entreprise Pinpin Corp, avec son accès et 80 machines derrière, elle a une adresse IP, donc elle a bien acheté un accès à Internet (même si elle n'en a pas fourni individuellement à chaque salarié, mais qu'elle l'a partagé). Par contre, sur ton abonnement GSM, c'est ton opérateur qui a une adresse IP publique, pas toi. Donc, oui, SFR/Bouygues/Orange a un accès Internet, et le partage avec toi, mais ne t'en fourni pas. C'est une vraie différence.

En termes téléphonique, ça donnerait que tu peux appeler les gens, mais pas être appelé, parce que tu n'as pas de numéro de téléphone. C'est tout de même un point relativement important, il me semble.

7. Le jeudi 21 janvier 2010, 18:56 par Crétin

Chez Orange (à l'intérieur de "son" réseau donc), il y a le filtrage du port 25. Mais il y a aussi, quand on n'est pas chez Orange (à l'extérieur de "son" réseau donc), le blocage à destination du serveur d'envoi d'Orange. Vous avez beau avoir une boîte aux lettres chez Orange, si vous êtes en dehors de "son" réseau, Orange vous empêche d'utiliser "son" serveur d'envoi. Serveur auquel Orange est censé vous donner accès pour pouvoir envoyer votre courrier. Essayez d'envoyer un courrier en utilisant le serveur SMTP d'Orange pour voir...

Le "mur" empêche de sortir, mais de rentrer aussi !

Je trouve personnellement que c'est un fléau cette tendance actuelle. Être obligé d'avoir à savoir dans quel réseau on se trouve, pour ensuite être obligé de modifier (régulièrement) les réglages des logiciels... tout ça pour que cela fonctionne normalement. C'est inadmissible ! Quand on a de bonnes connaissances en informatique et en réseau, ça va... mais sinon, je n'ose pas imaginer !

Ce n'est simplement plus Internet, ce sont plusieurs réseaux qui commencent tout doucement à se fermer et à devenir incompatibles entre eux. Et j'imagine qu'à terme il faudra un ordinateur (ou machine, ou appareil...) par réseau. À chaque réseau, son matériel dédié... l'intégralité de son matériel ! Ça a commencé avec les "box", ça aurait dû pourtant alerter. Comme avant, avec les modems-routeurs, toutes les "box" devraient être compatibles. Le seul réglage qu'il devrait y avoir à changer ça devrait être l'identifiant et le mot de passe. Mais non... il faut croire que pour certains, l'interopérabilité est considérée comme un inconvénient !

8. Le jeudi 21 janvier 2010, 19:04 par motofix

Bonjour et merci pour ce compte-rendu, qui a la double qualité d'instruire et de rassurer.

Je me demande néanmoins pourquoi tu as été invité par l'ARCEP. Est-ce en qualité de président de FDN, ou par ta visibilité publique croissante?

Dans le premier cas, je salue bien bas l'ARCEP de n'oublier personne dans ses consultations.

Dans le second cas, je pense qu'il est heureux que tu sois de plus en plus visible, en espérant que ça ne te dérange pas trop. Le corollaire est qu'il serait souhaitable que tu cherches à augmenter cette visibilité. Est-ce que cela fait parti de tes objectifs? Je l'espère, car il est manifestement rare d'être public et compétent.

En réponse: quelle différence fais-tu entre ma visibilité croissante, et ma fonction de président de FDN? C'est bien en tant que président de FDN que je fais des conférences, pour expliquer ce que fait l'association. Et, oui, c'est bien en tant que président de FDN, et parce que je suis devenu visible, que j'ai été invité. Tous les patrons d'opérateurs ne sont pas invités à s'exprimer. Sont entendus, je présume, les représentants des gros opérateurs, et toutes les personnalités que l'Autorité aura jugée utile d'entendre.

Pour ce qui est de chercher à augmenter encore la visibilité de FDN et de ce qu'on défend, on s'y emploie comme on peut. Par exemple en tenant un blog. Ou en prévoyant de nouveaux cycles de conférence.

9. Le jeudi 21 janvier 2010, 21:05 par antistress

@ mitch : ah que je suis c*n j'avais le zoom activé avec Firefox (qui sauvegarde le facteur de zoom)
du coup la page était agrandie et le texte touchait le bord :-)

10. Le vendredi 22 janvier 2010, 13:59 par psychoslave

Je me demandais, quand le MTA de l'april rejette un mail que j'envoie avec mon sendmail local parce que l'IP de ma machine ne correspond pas à celle du nom de domaine du mail mis en expéditeur, sous prétexte que c'est une pratique de spammer, est-ce une atteinte à la neutralité d'Internet ou y a-t-il une RFC à me jeter à la gueule ? :)

En réponse: ni l'un, ni l'autre. C'est un choix fait par un admin, sur son système, en périphérie du réseau.

11. Le samedi 23 janvier 2010, 00:26 par Crétin

En parlant de courrier électronique, pour la définition d'Internet : qu'uniquement un routage IP, alors... pas de personnalisation du Reverse DNS, aussi ?

Parce que parler de périphérie, ça veut dire qu'il y a une sorte de frontière. Ce n'est pas évident d'arriver à placer précisément cette frontière, elle est assez floue.

Et puis Internet, ou plutôt la fourniture d'un accès à Internet, c'est un peu plus qu'une route (utilisant le protocole IP), non ? Bon, en tout cas c'est sûr que c'est le strict minimum !

En réponse: il faut bien fixer des limites dans lesquelles réfléchir, sinon on amalgame tout avec tout. Parler du mail, c'est un service de correspondance, c'est couvert par les textes sur la correspondance privée. Par contre, l'utilisation du port 25 pour SMTP qui est un protocole de transport, c'est du réseau.

De la même manière, la personalisation du reverse ne me semble pas être une question de neutralité: il doit y avoir un reverse, ça, c'est dans les normes (pas dans la loi, dans les RFCs), la personnalisation du reverse n'est qu'une option, comme de choisir la couleur de la voiture.

Pour la différence entre coeur de réseau et périphérie, c'est fondamental. Sur Internet, toute l'intelligence est en périphérie du réseau, dans les clients et serveurs, les routeurs se doivent d'être idiots. Permettre aux routeurs d'intervenir sur le trafic, c'est très dangereux. Ça doit toujours soulever des questions juridiques et politiques.

12. Le samedi 23 janvier 2010, 02:20 par MadlyMad

Juste, Bravo ! ;o)
Sincèrement.

ça fait tellement d'années que j'attends avec hâte l'arrivée de la fibre optique, et que je rage quand je vois le temps que ça prend,
mais vu quelques détails (mais qui ont leur importance) auxquels je n'avais pas pensé... En fin de compte, c'est plutôt rassurant de voir que l'ARCEP s'interroge sur la problématique de la Neutralité du Net avant le déploiement du réseau fibre.
Donc c'est pas plus mal ainsi =)

13. Le samedi 23 janvier 2010, 12:10 par philippe caurier

Félicitations !
Ce compte rendu est à à la fois clair et bien écrit.

Même si aujourd'hui en ce qui concerne la question de la neutralité du réseau, ce sont les problématiques économiques qui sont au centre du débat, je suis persuadé que la question de la liberté d'expression sera au coeur des enjeux de demain.

Les internautes et c'est déjà visible changent leur manière de "consommer" Internet. De passifs, ils deviennent actifs. La mobilisation concernant le projet HADOPI (impensable il y a moins de 10 ans), l'explosion du nombre de blogs, des wikis, sont autant de preuves de ces changements inéluctables.

La question alors de savoir qui aura le droit ou pas de s'exprimer et pour dire quoi deviendra cruciale. A-t-on le droit de tout dire ? Le vrai comme le faux, le meilleur comme le pire ?
Les démocraties dans leur ensemble ont fait le choix c'est dernier temps de "rogner" sur leurs libertés au profit de la sécurité. Il y a donc fort à parier que les états essayeront d'exercer une censure sur le réseau. Et qu'elle meilleure censure que le filtrage par les opérateurs ?

En réponse: c'est en effet le centre du débat. Il y a un temps d'apprentissage d'Internet. Il faut du temps pour que les gens s'approprient cet outils, et passent de purs consomateurs à producteurs, de savoir, d'échange, de débats, etc. En ce moment, les politiques pourrsent vers plus de contrôle, et ont une chance de gagner, parce que la majorité (grande majorité) des gens n'ont pas compris la différence entre Internet et un super Minitel planétaire en couleur. C'est pour ça que la lutte est si difficile en ce moment. Dans 20 ou 30 ans, quand tout le monde aura majoritairement compris ce qu'est Internet, la question du contrôle sera très différente. Mais pour ça, il faut qu'Internet survive encore 30 ans.

14. Le mercredi 03 février 2010, 19:46 par ALT

"Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l'une ni l'autre & finit par perdre l'une & l'autre" (Benjamen Franklin)
Hélas, on nous prive de plus en plus de libertés au nom de la sécurité... Et tout le monde (ou presque) applaudit.

Bravo à FDN

La discussion continue ailleurs

1. Le jeudi 21 janvier 2010, 19:37 par rom1v

rom1v's status on Thursday, 21-Jan-10 18:37:38 UTC

Rencontre avec l'ARCEP sur la #netneutrality (@bayartb) http://is.gd/6KDGN...

2. Le samedi 23 janvier 2010, 07:23 par danc

danc's status on Saturday, 23-Jan-10 06:23:09 UTC

RT @rom1v Rencontre avec l'ARCEP sur la #netneutrality (@bayartb) http://is.gd/6KDGN...