Matin brun

Ces derniers jours, le Conseil constitutionnel a rendu son verdict sur le projet de loi relatif au renseignement, ainsi que sur la QPC que nous lui avions soumise (voir billets précédents). Le résultat est très négatif, et le bilan fort sombre pour l'avenir.

Les décisions du Conseil constitutionnel

Les questions posées au Conseil constitutionnel étaient des questions fondamentales, portant sur des choix de société. Il s'agit de savoir si la surveillance généralisée fait partie du modèle de société dans laquelle nous souhaitons vivre. C'est ça, le fond du débat. Un débat qui intéresse un grand nombre d'acteurs de la société civile, si on en croit le nombre de mémoires transmis au Conseil[1]. La question de savoir si tel ou tel article est conforme à telle ou telle disposition, article, ou jurisprudence n'est que pur détail technique, une question de forme. C'est le prétexte qui permet d'amener le véritable sujet.

Le Conseil a fourni une réponse technico-juridique, dans un style peu compréhensible. Pour quiconque n'est pas bilingue français/juriste, c'est un gloubiboulga indémêlable. On est loin de la réponse claire, argumentée et limpide qu'on pouvait espérer sur une question de fond. On attendait du Conseil une contribution au débat de société. Cette réponse brille par son inutilité.

Dans ce débat, qui oppose société civile et Gouvernement, le Conseil constitutionnel joue le rôle de juge. Nous attendions donc qu'il justifie ses décisions, et explique en quoi les arguments des uns étaient plus ou moins justes que ceux des autres. De plus, les chambres suprêmes ne se contentent théoriquement pas de trancher un dossier, elles disent surtout comment il faut interpréter le droit pour pouvoir trancher le dossier. Elles prennent des décisions qui feront référence pour les cours de rang inférieur.

Eh bien... Raté. La décision du Conseil se contente de déclarer conforme la quasi-totalité des dispositions mises en cause, sans réelle justification. En rendant une décision pareille, le Conseil renonce de fait à son rôle de chambre suprême du droit constitutionnel, et se transforme en simple validateur des lubies gouvernementales, potiche symbolique[2].

Le Conseil constitutionnel a donc finalement tranché sur le fond du débat : la France de demain sera une société de surveillance généralisée. Dont acte. Malgré l'opportunité qui leur était présentée de couper court aux dérives de notre gouvernement, les neuf « sages » ont choisi de n'en rien faire. Que ce soit par manque de courage politique, ou par aveuglement, c'est fort décevant.

Et maintenant ?

De notre coté, nous autres FDN, LQDN et FFDN, allons poursuivre nos procédures. Comme Benjamin et moi l'expliquions lors de notre conférence à PSES, l'objectif principal et potentiellement atteignable à court ou moyen terme est celui de la data retention : faire tomber la législation française sur la conservation des données au regard des décisions européennes, par un moyen ou un autre.

Notre recours devant le Conseil d'État sur le décret d'application de l'article 20 de la LPM, qui était suspendu pour la durée de l'étude de la QPC, va se poursuivre dans les mois qui viennent. Nous aurons peut-être également l'occasion d'attaquer plus frontalement la data retention dans les semaines à venir. Sans oublier nos deux recours sur les décrets blocage administratif de sites web et déréférencement issus de la loi Cazeneuve, qui poursuivent également leurs cours : le gouvernement a été mis en demeure de produire des observations il y a peu, ça devrait donc bouger bientôt.

À plus long terme, l'avenir nous dira si l'on va ou non jouer devant les hautes cours européennes. CEDH, CJUE... Dans tous les cas, pareilles procédures prendraient au bas mot quelques années avant d'aboutir. Bref, nous avons encore du pain sur la planche, et de l'énergie à conserver.

Quelles conclusions ?

À vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes. (JF Kennedy)

Deux points de vue s'affrontent classiquement chez les militants, de quelque marque qu'ils soient. Pour se faire entendre, certains préfèrent emprunter des voies légales, d'autres des voies brutales[3]. FDN a toujours été partisane des voies légales. Il est cependant manifeste que celles-ci ont tendance de nos jours à produire des résultats faibles. Chers amis, vous ne nous aidez pas à convaincre ceux qui préfèreraient brûler des voitures...

Peut-être serait-il bon d'exhumer, à tout hasard, le 35ème et dernier article de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1793, un texte qui n'est plus en vigueur, mais que certains feraient peut-être bien de ne pas oublier pour autant :

Article 35. - Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.

Une voie qui reste légale, est d'utiliser de manière beaucoup plus fréquente le chiffrement dans toutes nos communications[4]. Utiliser systématiquement SMSSecure pour nos SMS. Généraliser l'utilisation de GPG pour nos mails. Discuter avec nos amis en chat derrière une couche d'OTR. Promouvoir l'utilisation de Tor pour accéder au Web avec un minimum de respect de la vie privée. Etc.

C'est d'ailleurs l'occasion de signaler que Nos Oignons, une association amie qui contribue au développement du réseau Tor, a besoin de sous. À défaut de pouvoir corriger les âneries du Conseil constitutionnel, aidons-les à se financer !

Comme le disait un peu plus tôt Benjamin sur touitteur : Le chiffrement, c'est maintenant.

Oui, le chiffrement nous donne un peu d'espace pour respirer. Du moins tant qu'il n'est pas interdit. Mais ce n'est pas une solution. Le chiffrement ne rétablira pas la démocratie. Le problème est politique.

Nous sommes à l'aube d'un matin brun[5].

Notes

[1] Voir à ce sujet l'article de Marc Rees.

[2] Voir à ce sujet l'excellent article de Rubin Sfadj.

[3] Ce n'est pas tout à fait le propos, mais la lecture de ce billet d'Okhin (en anglais) est tout à fait intéressante.

[4] Voir aussi l'article de Pierre Alonso.

[5] Voir Wikipédia : Matin Brun.

Commentaires

1. Le dimanche 26 juillet 2015, 11:59 par Atatorus

Et si on attaquait directement la légitimité, ou du moins la composition, du conseil constitutionnel ? J'ai lu quelque part il y a plusieurs mois, si ce n'est années, un article disant que ce serait possible de le faire devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme ou la Cour de Justice de l'Union Européenne.

L'argument était, si je me souviens bien, le problème posé par son indépendance vis à vis de l'exécutif, ou plutôt son absence d'indépendance. En effet, ses membres sont nommés par le président de la République et les présidents des assemblées. Et en tant qu'ancien politiques, ils ont pu voter ou faire voter des lois sur lesquelles ils peuvent être appelés à juger de leur conformité via les QPC.

Si des juristes lisent ces quelques lignes qu'ils me pardonnent les quelques erreurs, voire absurdités, qui s'y seraient glissées. Mais si c'est possible, pourquoi ne pas le faire ? Et quelles en seraient les conséquences ? L'auteur de l'article parlait quand même d'arme nucléaire judiciaire...

2. Le dimanche 26 juillet 2015, 12:14 par skhaen

Hello,

Il faut plutôt préférer textsecure à smssecure si vous avez de la data, et je vous conseille grandement redphone pour android et signal pour iphone.

https://whispersystems.org/blog/goo...

3. Le dimanche 26 juillet 2015, 17:55 par PHashP

TextSecure : les développeurs annoncent qu'ils arrêtent le support de la partie SMS/MMS chiffrés à partir de la prochaine version (2.7.0) .
https://linuxfr.org/news/textsecure... (fr)
https://whispersystems.org/blog/goo... (en)

4. Le lundi 27 juillet 2015, 14:48 par mmu_man

Si la Déclaration de 1793 n'est plus en vigueur, il nous en reste une qui a valeur constitutionnelle en France, celle de 1789 :

http://www.conseil-constitutionnel....

dont l'article 2. dit :

"Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression."

Or quand un gouvernement se permet d'espionner tous ces citoyens sans contrôle judiciaire, n'est-ce pas de l'oppression ?

5. Le mardi 28 juillet 2015, 14:00 par doubleaction

Les seules actions possibles et efficaces sont d'exercer une violence physique sur les dirigeants : l'heure n'est plus à la discussion.